dimanche 3 octobre 2010

Beckett, Fin de Partie, Les registres

By Margaux et Dame Plaquette

UN MESSAGE TRAGIQUE :

Fin de partie = fin de jeu/vie ? > quelles règles ? quels personnages ? gagnant/perdant ? Champ lex. du jeu [P.13.14.15.20.39.40.41.65.108] = état de « bilan » avec le châtiment suprême

Sous-entend qu’il y a eu « un avant » = bouleversement (vers la mort ?)

Existence de l’homme réduit à la mortalité = tout être humain est « limité »

Tragédie de la banalité/ennui ? = « sine die » du moment fatal
> espoir de la délivrance, la mort est inéluctable (=ironie tragique)
> « Rien n’est plus drôle que le malheur. » [P.31], désir de l’autodestruction pour assouvir l’absurdité de l’attente « Il faut que tu arrives à souffrir mieux que ça, si tu veux qu’on se lasse te punir. » [P.106], importance de plus en plus grandissante pour les choses futiles « Un monde où tout serait silencieux et immobile […] » [P.76]
> le non-sens de l’existence prend forme, une stérilité du langage qui tend à rendre « la vie » des réfugiés d’autant plus superfétatoire « Il va à la porte, s’arrête, se retourne, contemple la scène, se tourne vers la salle. » [P.13]
> véritable aparté qui implique le lecteur/spectateur dans l’univers d’une attente insoutenable et mal vécue par les comédiens eux-mêmes = le public prend conscience de la misère de la condition humaine par L’ABSURDITE de la situation (=rôle de CATHARSIS), l’absence de dialogue a proprement parlé plonge la salle dans un déconcertant effroyable « Comment vont tes yeux ? Mal. Comment vont tes jambes ? Mal. Mais tu peux bouger ? Oui. » [P.19] « C’est ça. […] Ni loin, ni mort ? » [P.88 à 91] « C’est nous qui nous remercions. […] Toi je te garde. » [P.107 à 109]
> monologue de Hamm avec lui-même (=présence réelle d’un but de paroles, de transmission de message ?)

= Beckett transmet donc ici un message par le biais de l’absurde, de la dérision et parfois de la folie. Il tend à nous faire prendre conscience de la misère de l’humanité. Il pousse le lecteur/spectateur a se poser des questions sur l’existence, qui n’en a finalement peut-être aucune. Il pose ici l’idée que l’homme est VULNERABLE et impuissant.



DES PERSONNAGES MUTILES :

Existence réduite à l’absence de sens (apparent ?) = présence de personnages bloqués, empêtrés et embourbés au sein d’un huis clos, « Qu’ici, nous sommes dans un trou. » [P.54] ils ne possèdent plus aucun sens « Un jour, tu seras aveugle. Comme moi. » [P.51]
> cécité de Hamm qui fait de Clov « ses yeux » (=relation de complémentarité renforcé par le handicape de Hamm qui ne peut plus marcher) « Assis dans un fauteuil roulant » [P.11]
> Clov, lui jouie de la capacité de marcher mais n’a pas le droit de s’asseoir « Je ne peux pas m’asseoir. » [P.52] (=fatalité de la condition humaine), les parents de Hamm sont les seuls à sembler pouvoir continuer à éprouver des sentiments qui dépassent l’affection « Il frappe plus fort. C’est pour la bagatelle. Embrasse. On ne peut pas. » [P.27]
> esprit « roméo & juliette » l’amour est omni présent mais le sens du toucher reste inaccessible, leur sensation gustative semble altérée par le peu de ressources nutritives dont ils disposent « Je te donnerai un biscuit par jour. » [P.18] « Il n’y a plus de bouillie. » [P.21] « Il n’y a plus de dragées. » [P.74], les personnages n’émettent pas le désir de reproduction et vont jusqu’à haïr toute forme de vie nouvelle « Maudit progéniteur ! » [P.21] « Maudit fornicateur ! » [P.22] « C’est moi qui t’ai servi de père. Ceci m’a servi de cela. » [P.54]
> les personnages n’ont plus de vie à proprement parlé puisqu’ils n’ont aucune satisfaction personnelle et quand bien même auraient-ils la capacité de repeupler cet univers apocalyptique ils ne veulent pas en entendre parler (=paradoxe puisque [P.48] il est question de « morpion » ce qui sous-entend une possibilité de vie sexuelle en apparence inimaginable), par ailleurs les personnages sont embourbés dans une banalité et un ennui qui présupposent l’accélération de mise en évidence de certains caractères « Si je dormais, je ferai peut-être l’amour. » [P.31]
> Hamm a ici recourt aux rêves, bien que conscient de la fin proche il s’adonne à des désirs illusoires [P.33 à 36] Nagg et Nell se laissent aller aux souvenirs et à la nostalgie
> l’homme est donc dans une misère totale.

=Beckett pose l’idée selon laquelle l’homme évolue dans un milieu dénué de tout sens. Nécessairement limité, l’homme est mortel. :
Finitude.
A l’approche du jugement dernier, l’être humain sombre dans un tourbillon de sentiments différents. (l’angoisse, la peur, la folie) Beckett évoque le caractère d’un monde moderne sans histoire, où règne l’incompréhension face à la vie. Ces personnages sont engloutis dans le temps, et l’ennui. Ainsi, la banalité ne conduirait-elle pas à la perte de l’homme ?



UNE MISE EN SCENE TRAGIQUEMENT PAUVRE :

Cette pièce ne s’inscrit pas dans un espace temps définit. En effet, nous n’avons aucun renseignement quant à l’époque à laquelle l’action se situe. Ce huis clos semble figé dans un « entre deux temps » qui laisse le lecteur perplexe.
Au cœur de celui-ci, est présente très peu de vie. En effet, cette pièce de théâtre ne compte que quatre personnages. Leur apparition ne se fait jamais simultanément, ce qui réduit considérablement la vie scénique. Ce vide n’est toutefois guère comblé par la présence d’un dialogue proéminent. Comme vu précédemment ce discours s’apparente plutôt à la stérilité. (mais quand on voit le discours de Nagg et Hamm, ce serait peut-être mieux que les parents eussent été stériles...)
Ce qui, ne dynamise pas du tout l’action. De plus, il n’y a pas de réelle(s) action(s) au cours de cette pièce. Très peu de péripéties et une absence de nœud rédhibitoire. On assiste à un « entre début et fin ». Il ne se passe pour ainsi dire rien entre la première, et la dernière page. Il ne s’agit là que d’un échange de paroles entre deux personnes ennuyées. (ennuyeuses ?)
Même la fin, dont à attendrait quelque chose s’apparente à une répétition du début. La pauvreté du décor ne fait qu’altérer cette atmosphère froide et triste. Effectivement, sur la scène il n’y a que très peu d’objets qui restent tout au long de la pièce « un tableau retourné […] deux poubelles […] un fauteuil à roulettes […] l’escabeau » [P.11] Quand bien même, d’autres objets interfèrent au long de le pièce, ce décor reste pauvre.





UN COMIQUE OMNI-PRESENT
Fin de partie ouvre la scène sur une pantomime, un effet dès la page 12, le comique de gestes qui tend vers l’exagération se met en place : toutes les actions de Clov sont rythmées par une certaine symétrie dans l’espace ce qui le fait ressembler à une sorte de clown (=cette idée étant reprise par la didascalie « Teint très rouge » [P.11] ainsi que la « démarche raide et vacillante » > antithèse qui accentue la bizarrerie du personnage), un contraste s’opère entre la rigueur des mouvements de Clov « fait six pas […] fait trois pas […] fait un pas » [P.12] (=soldat ?) et le soucis exagéré de l’activité dérisoire « descend de l’escabeau […] retourne prendre l’escabeau […] monte sur l’escabeau » [P.12] ainsi cette situation débouche sur le comique de répétitions, en effet si celui-ci concerne en général les paroles, il peut très bien s’appliquer à un même schéma scénique (comme vu précédemment Clov répète les mêmes gestes pendant un certain temps) [de la page 82 à 85] le même « dialogue » est répété > discours stérile sans but apparent, même type de réponse de la part de Clov (=répétitions > réponses au vide scénique ?) si les gestes en disent beaucoup, les mots ne demeurent pas moins être des messagers, ainsi le comique de mots est omniprésent tout au long de cette pièce > « ma bouillie ! » (=image du jeune bambin) [P.21], « si vieillesse savait ! » [P.22] (=Beckett s’approprie des dictons populaires) « c’est pour la bagatelle ? » [P.27] (=ironie puisque les parents de Hamm sont cul-de-jatte) « à moins qu’elle ne se tienne coïte » [P.49] (=jeu de mots évident et sans précédent sur l’acte sexuel) « va chercher la burette pour graisser les roulettes » [P.60] (=certaine musicalité du discours qui fait sourire) « pan ! dans les gencives » [P.67] (=assimilation à une réaction de petit enfant dans une cours de récréation > manque de maturité flagrant), dans ce comique de mots nous pouvons discerner un processus particulier qui consiste à juxtaposer des contraires « alors nous mourrons […] alors ne nous mourrons pas » [P.18] (=absence de jugement fondé en raison, les répliques de Clov sont de réelles girouettes, elles changent au gré de celles de Hamm) « alors je vous quitterai […] alors je ne vous quitterai pas » [P.53] (=Clov n’en a que faire de partir en apparence, il suit les paroles de Hamm) « d’avoir trop marché […] d’avoir trop peu marché » [P.65] (=les personnages se contredisent eux-mêmes tout au long de la pièce) > ce processus sous-entend une mise en évidence indirecte de la condition humaine, de plus cela constitue un semblant de comique de caractère dans le sens où les personnages eux-mêmes ne savent ni ce qu’ils disent ni ce qu’ils veulent.

= Beckett n’exprime pas le comique de caractère dans le sens où il ne vise pas à corriger l’homme. Il veut ici nous montrer la réalité quant à la condition humaine. « Le réveil sonne. Je suis loin. Il ne sonne pas. Je suis mort. » [P.67] Par le biais du comique de gestes, Beckett tend à faire accepter au lecteur ses propres infirmités. Ainsi, le rire conduit à l’acceptation de sa propre condition. Il pose le non-sens de l’existence à travers l’absurdité des propos de Clov et de Hamm. Il pose une certaine distance par rapport au lecteur qui rit de la situation. Beckett semble donc ici nous raconter « une bonne blague ». Il teste ici la réaction du lecteur/public. Il a besoin d’une réponse : comédie ou tragédie ? La misère humaine est quelque chose d’affreux, mais le caractère affreux est drôle et engendre nécessairement une prise de conscience. « Rien n’est plus drôle que le malheur. » [P.31]

Cette pièce est sinistrement drôle car non seulement il n'y a pas de véritéble sens à notre existence, mais il est tragique de chercher à en donner un.
Discours existentialiste de Beckett: nous prenons la vie avec trop de sérieux donc compense ici avec trop peu de sérieux.
Estompe les frontières entre les registres et les genres.

Beckett définit sa pièce co:
* elliptique
"Marche inéluctable vers une fin pressentie".
"Puissants rapports de force qui avortent dans le silence ou la fuite"
"C'est le spectateur qui ressent le tragique comme potentialité dramatique mais sans en avoir les effets."

Matthijs Engelberts

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